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Open Letter to the Haitian National Police

Lettre ouverte au Conseil Supérieur De la Police Nationale d'Haïti (CSPN)

 

Port-au-Prince, le 18 octobre 2001

Monsieur Jean Marie Chérestal
Président du Conseil Supérieur De la Police Nationale d'Haïti (CSPN)

Monsieur le Président,

La Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) croit de son devoir d'attirer l'attention de la plus haute instance de la PNH - en tant qu'organe jouissant de prérogatives légales des grandes orientations de la politique d'action de la Police Nationale - sur la dérive dangereuse de cette institution garante de l'ordre, de la tranquillité et de la stabilité de l'état.

La situation est inquiétante : l'intolérance, source de conflits idéologiques et politiques gagne du terrain,  des opérations clandestines de police sont déplorées dans des milieux socio-politiques, les forces de sécurité semblent obtenir carte blanche pour tuer ou laisser tuer en toute impunité dans le cadre supposé de la lutte contre le climat condamnable et inacceptable d'insécurité, les violations des droits humains dépassent le seuil de l'imaginable.

Monsieur le Président, la NCHR soumet à la réflexion du CSPN que vous avez le privilège de diriger aujourd'hui, dans le cadre de sa plus prochaine réunion ordinaire ou extraordinaire, les faits suivants:

I. Politisation de la Police Nationale d'Haïti

La politisation des forces de sécurité dans les pays en voie de développement est une source d'instabilité et une entrave au développement socio-économique des peuples. Les Forces Armées d'Haïti défuntes souffraient de ce mal à tous les niveaux.  C'est là que nous comprenons le refrain populaire qui accueillait l'arrivée des membres de la nouvelle force de police au moment de son déploiement à travers le pays : «Kraze lame a banm kò Polis la».  Ce corps était donc porteur d'espoir d'une société stabilisée dans le respect de tous et de chacun.  Aujourd'hui la police s'est discréditée aux yeux de la population et n'inspire aucune confiance.  Ce sentiment s'est renforcé par le comportement regrettable du porte-parole de la Police Nationale, Monsieur Jean-Daddy Siméon, qui ne recule devant aucun mensonge.

Les cas ci–dessous mentionnés renseignent sur le degré de politisation de la Police Nationale d'Haïti :

  1. Cas du docteur Blondel Auguste

    Le dimanche 22 juillet 2001,  des membres de l'Unité de Sécurité de la Garde du Palais National (USGPN) ont procédé à l'arrestation du Dr Blondel Auguste à son domicile sis à la route des Dalles.  Ils l'ont conduit d'abord au Palais National, puis au commissariat de  police de Port-au-Prince.

    Haut cadre du Ministère de la Santé Publique, ancien directeur médical de l'hôpital Ste Catherine Labouré de Cité Soleil, le Dr Blondel Auguste a été présenté par le porte parole de la PNH, Monsieur Jean-Daddy Siméon, comme un quidam, un vulgaire incendiaire qui envisagerait de faire sauter les locaux du Ministère de la Santé Publique, le responsable d'une campagne de graffitis hostiles au gouvernement.  Or la maison du Dr. Auguste n'a pas été régulièrement perquisitionnée et la police a été incapable d'apporter la moindre preuve sur les faits avancés pour justifier son intervention.

    Cette prise de position de la Police Nationale dans un conflit apparemment interpersonnel invite à la réflexion : les unités spécialisées de la Police Nationale sont-elles autorisées à faire des arrestations ?  y a-t-il  une garde- à- vue au Palais National ?  sommes-nous revenus au temps de la police politique des Duvaliers ?   peut-on mettre des unités spécialisées de la police au service des intérêts privés ?

    La NCHR déplore  le fait que bien souvent des personnes  arrêtées par l'USGPN, la Brigade de Recherche et d'Intervention (BRI) ou les autres unités spécialisées de la Police peuvent attendre des mois avant d'être placées dans le circuit judiciaire.  C'est l'une des grandes sources de la détention prolongée dans la zone  métropolitaine. Il s'agit là d'une situation grave qui mérite d'être corrigée.

  2. Intervention policière au local de la  Konvensyon Inite Demokratik (KID)

    Le mercredi 22 août 2001, le local de la convention de l'unité démocratique a été perquisitionné par des unités spécialisées de la Police Nationale d'Haïti. Cette opération,  réalisée elle aussi, en violation de la loi, sans même le souci de l'apparence, avait l'odeur d'un acte de vengeance politique plutôt qu'une action de prévention d'infraction. La PNH une fois encore, une fois de trop n'avait pas agi avec professionnalisme.  Elle a prêté le flanc à un maquillage politique cousu de fils blancs ou mieux de cordes blanches.

    De plus, les policiers présentés comme étant responsables de l'opération n'ont pu mettre à la disposition des autorités de poursuite, les éléments de preuve corroborant leurs déclarations intempestives à la presse, ils n'ont pas répondu aux convocations de la justice comme cela se fait dans les démocraties, au point qu'un conflit stupide entre autorités judiciaires a été monté de toute pièce pour permettre à la police Nationale de sauver la face.  Le système judiciaire en est même sorti diminué à l'occasion de cette troublante affaire.

  3. Refus d'exécuter certains mandats

    Plusieurs proches du pouvoir font l'objet de poursuites judiciaires, on peut citer entres autres, les cas de Richard (Chacha) Salomon, René Civil de  «Jan l Pase l Pase» JPP, Paul Raymond de  «Ti Kominote Legliz» TKL de St Jean Bosco et Ronald Camille dit Ronal Kadav présenté comme le nouveau «Bos Pent» haïtien.

    Ces personnes sont activement « recherchées » par la Police dans le cadre de l'enquête menée autour de l'assassinat du directeur général de Radio Haïti Inter, Jean Léopold Dominique et du gardien de la station Jean Claude Louissaint et de l'assassinat de Fritzner Jean alias Bobo alors qu'ils circulent en toute quiétude à travers la capitale et se font remarquer dans des lieux publics contrôlés par des agents de la PNH.

    La police a donné tous les prétextes pour ne pas exécuter ces mandats.  N'a–t-on pas vu dans le passé un général de l'armée d'Haïti solliciter l'intervention de la Cour de Cassation sur la forme d'un mandat pour justifier le refus de l'armée de procéder  à l'arrestation du Dr. Roger Lafontant ? ki  sak chanje ? sommes- nous en présence de nouveaux Roger Lafontant ? d'une nouvelle version de l'armée d'Haïti qui ne dit pas encore son nom ?  la Police Nationale – aussi budgétivore que l'armée –  qui consomme près de 80% du budget du Ministère de la Justice n'est elle plus auxiliaire des pouvoirs publics ?

    Ce sont là des points obscurs sur lesquels le CSPN doit apporter un peu de lumière. La population en a grandement besoin.

  4. Événements du 28 juillet 2001

    Les douloureux événements du samedi 28 juillet 2001 survenus à l'académie nationale de police, à Pétion-ville, à Mirebalais, à Belladères et à Hinche ont montré le choix partisan et le degré de politisation de la police.  En lieu et place d'une enquête rationnelle appelée à faire toute la lumière sur ces événements, à punir les coupables et empêcher la répétition de tels actes, la police a préféré se lancer sur  la voie des accusations gratuites et des arrestations arbitraires.  Personne ne sait et  ne saura peut-être jamais ce qui s'était passé effectivement cette nuit là.

    Un ensemble d'arrestations arbitraires ont été opérées, à l'instigation des proches du pouvoir, au sein des partisans de l'opposition et de certains cadres gênants de la PNH. Ceci n'a nullement aidé à la manifestation de la vérité. Au contraire, la confusion est renforcée, les parents des victimes innocentes continuent de pleurer sans espoir de voir un jour les responsables de telles atrocités répondre par devant un tribunal impartial de leurs forfaits.

    Monsieur le Président, vous conviendrez avec nous que souvent la Police Nationale d'Haïti fait montre d'une partialité légendaire vis-à-vis  des proches du pouvoir  et souffre d'un déficit de neutralité indispensable à sa survie.  La PNH participe à une campagne  de déformation de la réalité pour plaire au pouvoir comme au temps des  Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN).  De plus, des indices de plus en plus nombreux tendent à prouver que des groupes de civils armés opèrent en étroite collaboration avec les pouvoirs publics et avec la passivité des forces de police.  

 

II. Participation de la Police Nationale à l'opération «zéro tolérance»

Au cours d'une visite à la direction générale de la Police Nationale d'Haïti le 28 juin 2001, le chef de l'état, son Excellence Jean Bertrand Aristide,  a lancé dans le cadre de la lutte contre l'insécurité, «l'opération zéro tolérance».  Ceci est une forme d'incitation à la violence, de politique d'assassinat ou de tolérance de l'assassinat, c'est la porte ouverte vers des exécutions extrajudiciaires. Il est navrant de constater que des hauts gradés de la PNH, réagissant avec émotion après les événements du 28 juillet 2001, aient annoncé publiquement et ouvertement leur attachement à la formule « Zéro tolérance ». Le risque de voir la police se transformer en un corps de criminels est donc très grand.  Les cas ci –dessous mentionnés parlent d'eux mêmes.

  1. Cas de Ronald Francis

    Le samedi 8  septembre 2001, le  nommé Ronald Francis, membre de l'organisation Mouvman  Revandikatif Ayisyen pou Devlopman  ak Demokrasi (MORADD), a été froidement abattu par un agent 4 de la Police Nationale d'Haïti, responsable du service de sécurité de l'Hôpital de l'Université d'état d'Haïti, le policier  Jean Marie Dominique.  En dépit du fait que ce policier ait été dénoncé par la clameur publique comme étant responsable de ce crime odieux, il n'a pas été inquiété et l'inspection générale n'a pas annoncé des mesures de sanctions ou même l'ouverture d'une enquête.

  2. Cas rapporté par un lecteur du journal Le Nouvelliste

    Dans un article paru dans le quotidien Le Nouvelliste  # 36 285 du 17 septembre 2001,  sous le titre «zéro pour la tolérance, quelle note pour la justice!» un passant rapporte que le samedi 15 septembre 2001, à proximité de la statue du marron inconnu, en face du palais présidentiel, à côté du service d'investigation et Antigang, des policiers ont livré à la justice populaire un présumé voleur.  Lapidé par la foule, couvert de sang et déprimé, ce présumé voleur a été exécuté d'une balle à la tête.

    Ces cas de lynchage sont monnaie courante à travers tout le pays et se réalisent dans la majorité des cas avec, au moins la complicité de la PNH.  Quelle institution protège désormais les vies et les biens en Haïti?

  3. La question des  centres de rétention

    L'un des reproches adressés le plus souvent à l'armée d'Haïti était  son caractère répressif, les actes de tortures perpétrés sur des personnes déjà maîtrisées ou sans défense.  Il est regrettable de noter le retour à des pratiques humiliantes et dégradantes de torture dans les centres de rétention (garde -à -vue).  Dans certains endroits, comme à Port-au-Prince, on parle même de l'institution de «cellules zéro tolérance» destinées à recevoir des personnes appelées à faire l'objet de traitement inhumains.  On déplore même des cas de  personnes ayant trouvé la mort suite aux sévices corporelles à elles infligées par des agents chargés de les protéger dans des centres de rétention.  Citons, entre autres, les cas des prévenus Arsène Auguste à St Marc décédé en décembre 2000 et de Réginald Mémé à Pétion-Ville en août 2001.  Quelles sanctions ont donc été infligées aux policiers responsables de ces crimes ?

 

Réintégration de policiers renvoyés pour violations graves des droits humains- vol -  corruption, etc.

La Police Nationale pour remplir pleinement son rôle doit s'imposer des règles de conduite dans la gestion de son personnel.  L'article 17 du manuel du personnel de la Police Nationale d'Haïti du 6 février 1996 est formel : le policier qui sollicite sa réintégration dans les rangs de la Police Nationale après résiliation d'un contrat antérieur doit soumettre un certificat de bonne conduite à l'issue des services qu'il a effectués dans la Police Nationale.

Or des policiers renvoyés des rangs pour violation grave des droits humains, vol  corruption, trafic illicite de stupéfiants ou autres ont pu réintégrer l'Institution policière.

  1. Cas du policier Normil Roboam

    Ce policier a été renvoyé de la Police Nationale pour exécution sommaire en octobre 1996 au grade de A1, il a réintégré la PNH en avril 2001 au grade de A3.

  2. Cas du policier Carlo lochard

    Commissaire municipal à Miragôane,  il a été renvoyé de la PNH en octobre 1996 pour violation de Droits humains, il  a réintégré les rangs en avril 2001 et est actuellement commissaire municipal à Carrefour.

  3. Cas du policier Roody Terrassan

    Il à été révoqué pour abandon de poste, il a réintégré la PNH en avril 2001 et est l'actuel responsable de l'unité spécialisée BRI (Brigade de Recherche et d'Intervention). Cette unité se fait ces jours-ci une drôle de réputation dans les actes d'arrestations arbitraires et de détention prolongée.

  4. Cas du policier Patrick Guillaume

    Il a été révoqué pour abandon de poste, il a réintégré la PNH en avril 2001 et est actuellement commissaire municipal de Pétion-Ville.

D'autres cas peuvent être mentionnés :

  1. Celui du policier Shiller Louidor impliqué dans le scandale du détournement des sept cent mille dollars américains (700 000 $US) à la Direction Centrale de la Police judiciaire (DCPJ) qui a été tout simplement muté à la Secrétairerie d'état à la Justice chargée de la Sécurité Publique (SEJ).

  2. Celui de l'intervention musclée de trois camions de swat team et de le Corps d'Intervention pour le Maintien de l'Ordre ( CIMO) à Bon Repos pour l'exécution d'une décision de justice en faveur des Mevs. Les corps spécialisés de la police peuvent-ils être réquisitionnés et par qui pour l'exécution de décisions judiciaires ? les corps les mieux entraînés de la PNH sont-ils au service de la bourgeoisie monopoliste comme au temps de l'armée ? ki Sak chanje ?

  3. Le cas des policiers Camy Marcellus, commissaire municipal de Delmas, et de Yrvens César, inspecteur de police à Delmas qui ont brutalisé et menacé de mort un journaliste de Radio Haïti Inter Jean Robert Delciné dans l'exercice  de ses fonctions. L'Inspection générale répond encore une fois aux abonnés absents. 

De plus, la PNH donne l'impression de fonctionner sans aucun plan de carrière pour les policiers.  Les promotions sont octroyées sous la base du militantisme, de l'allégeance au pouvoir politique en place. Des cadres de la PNH sont transférés à la Direction Générale sans structure d'accueil, sans tâches ou missions définies. Des personnes sans grande formation sont placées à des postes de responsabilité au sein de la PNH sans concours.  On renforce le sinécurisme dans une institution qui souffre cruellement d'un manque de ressources humaines.

C'est donc le retour au favoritisme, au «mounpayism» comme au temps de l'armée.  Ki  Sak chanje?

Monsieur le président, la barque de la PNH est aujourd'hui à la dérive.  Elle mérite un rapide redressement. Seul le CSPN a compétence pour l'opérer.  la NCHR formule le vœu que l'intelligence, le bon sens et la sagesse aient le pas sur toute autre considération. Dans cette optique, elle recommande au CSPN de :

  1. Travailler à la professionnalisation de la PNH

  2. Veiller  au respect des règles d'éthique au sein et dans la gestion de l'institution policière.

  3. Faire publier la liste des policiers qui ont réintégré les rangs de la PNH depuis février 2001.

  4. Faire publier la liste des policiers sanctionnés depuis la prise de fonction de l'actuelle équipe dirigeante de l'inspection générale de la PNH.

  5. Œuvrer à la mise en œuvre et au respect d'un plan de carrière au sein de la PNH.

  6. Faire cesser les pratiques de torture dans les centres de rétention de la PNH.

La NCHR vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président, l'expression de sa  très haute considération.

 

Pierre Espérance
Directeur

 

cc:  

Maître Louis Garry Lissade, Ministre de la Justice

Monsieur Henri Claude Ménard, Ministre de l'Intérieur

Monsieur Jean Nesly Lucien, Directeur de la PNH

Monsieur Harvel Victor Jn-Baptiste, Inspecteur Général en Chef de la PNH

            

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